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La danse est un métier de passion. Certes…Mais c’est un métier. Et un métier : ça s’apprend. Après 15 ans d’apprentissage intensif, 4 grosses années de formation, et une audition : ca y est, voilà, c’est ma première fois: je suis engagée au Ballet du Rhin pour la saison!! Je suis désormais danseuse pro ! Sauf que… Non: tu n’es pas danseuse pro d’un coup de baguette magique… Tu le deviens (phrase qui tue). Cette phrase a un vrai sens pour moi et j’aimerais vous dire pourquoi. Retour donc en 2009…

32 danseurs dans la compagnie. Dont moi ! Je viens d’arriver. De débarquer. La plupart des danseurs de la compagnie sont la depuis quelques années déjà… (Certains sont même en couple, mariés, avec enfants …). Nous sommes trois nouveaux : Sandra, Baptiste (qui était dans la compagnie de Béjart avant !) et… moi.

Le rêve

2010, Ballet du rhin, before class.

Ma première journée commence par l’installation dans « ma » loge : chaque danseur a son espace : on est 6 filles dans ma loge (dont la maitresse de ballet Claude ). Je pose mes affaires donc dans mon espace, je me familiarise et je pense déjà à comment personnaliser ce miroir, casier etc.… Il faut dire que je débarque fraichement de chez mes parents, c’est mon premier contrat, première fois que j’habite seule et puis… Je quitte Biarritz pour vivre à : Mulhouse. Je n’ai rien contre cette ville hein mais, bon : Biarritz c’est plus glamour quand même.

Nous commençons donc la première classe de l’année (le cours de danse classique quotidien). Je me trouve une place à la barre. Je suis juste (nerveuse) excitée à souhait, j’ai l’impression que tout le monde me regarde : (c’est affreux et paralysant) c’est plaisant de se retrouver parmi tous ces magnifiques danseurs !

Présentation

Puis, à la fin de la classe, notre directeur artistique, Bertrand D’At, nous résume la saison : les programmes de l’année (il y a 4 programmes ). Les chorégraphes invités, les créations, reprises, etc… L’emploi du temps de la semaine, puis… Il présente les nouveaux. (aaaaaaaaaaah !)

Une fois la réunion terminée, on commence fort puisque Lucinda Childs (mon dieu mon dieu mon dieu !!!!) donne son « atelier » workshop, qui va lui permettre de sélectionner les danseurs qu’elle veut pour sa nouvelle création. En une heure elle choisit… Il y a ce qu’on appelle deux « cast » : le premier cast’ (entendez, le cast qui dansera principalement le programme, l’équipe A quoi), et le deuxième cast’ (les remplaçants si un danseur du premier cast se blesse, le deuxième cast danse le programme mais seulement quelques fois : c’est donc l’équipe B).

Surprise!

 

Scène de l’Opéra de Strasbourg. 2010

Je suis sélectionnée pour le deuxième cast’ ! J’essaie de me contenir, mais je suis plus qu’heureuse : Lucinda Childs me choisit pour faire partie de sa création (ok, dans le 2eme cast, mais imaginez-moi : j’ai 19 ans, c’est ma première journée de travail !! je suis trop heureuse).

6 couples sont impliqués dans la création : tout au long de la chorégraphie, les couples traversent et effectuent en dansant, avec rythme et pas differents, des aller retour sur la scène d’une coulisse à l’autre. En décor, trois immenses panneaux de plexi, qui traversent la scène tout le long de la chorégraphie : lentement mais surement. Je suis trop excitée.

Je fais de mon mieux j’essaie d’apprendre le plus possible d’effectuer les mouvements comme Lucinda le demande : je suis en partenariat avec un des garçons de la compagnie.
La pause dej’ arrive. Je rentre chez moi, où mes parents m’attendent, ils sont venus m’aider à m’installer. Je leur raconte cette première matinée, mange rapidement et retourne en studio…
Je me remets donc en place. Sauf que voici…

La désillusion.

Claude (la maitresse de Ballet) et Lucinda Childs , viennent me dire que je suis retirée du deuxième cast. Et placé en « observatrice » (c’est a dire, je regarde mais je ne peux rien faire, pas danser, et je ne danserai pas la pièce quoi).
BOOM.
Pas d’explication. C’est juste comme ça. Je passe mon aprèm donc à regarder…
Voilà ma première journée de contrat au Ballet du Rhin, castée puis décastée sans explications : Bonjour et bienvenue !!!! Et c’est un bel avant gout de ce qui m’attend…

Le moral à 0

rues de Strasbourg, 2010.

Au début, donc : je ne danse absolument pas. Je prends la classe du matin, et puis je suis mise de côté pendant les répétitions. Je suis… Très frustrée… Je ne comprends pas. Même quand je sens que le feeling passe bien avec les chorégraphes : je ne suis pas distribuée, ou je suis troisième cast (remplaçante de la remplaçante… !) Pourquoi je ne danse pas, pourquoi on ne me met pas dans les ballets ?

Je déprime. Je fais tellement rien : Je suis nulle ou quoi ? Pourquoi on m’a engagé si je ne danse pas !

Deux mois se passent…Rien ne va plus. Je ne danse toujours pas, je suis 3kg plus lourde (le comble pour une danseuse !), et pour le prochain programme qui est le ballet classique « Giselle » j’ai intérêt à les perdre sinon je ne danserai encore pas !!! Plus que de ne pas danser, c’est d’être dans cet état végétatif qui m’exaspère. Et que le regard des autres comptent autant !

Révélation

Je suis danseuse professionnelle « sur le papier », mais, ce n’est pas parce que je suis douée et que je danse bien, que je suis distribuée. Je le vis maintenant. Et je dois faire mes preuves. Mais pas pour les danseurs de la compagnie, ou pour mes parents etc… Non, cette fois-ci, c’est à moi-même que je veux rendre des comptes. Plus personne d’autre. Je me dois mieux que çà.

Je comprends donc là quelque chose d’essentiel :

ma place, je la mérite et je vais aller la chercher pour moi, pas pour les autres.

Je veux comprendre et faire vraiment mon métier de danseuse.

Une fois dans la compagnie, dans le réel monde du travail, je comprends que la seule personne qui va m’aider : c’est moi.
L’école est finie. Plus personne pour me dire quoi faire et comment. Je deviens RESPONSABLE de moi-même.
Je deviens adulte ! C’est (flippant) excitant.

Ma réalité

Alors, Je commence par perdre les 3kg que j’ai pris en reprenant une alimentation normale et je commence à vraiment travailler. A me prendre au sérieux. Pendant la classe du matin, pendant les répétitions des ballets dans lesquelles je ne suis pas distribuée. Derrière. Au fond à Gauche du studio. (Ou a droite en fonction de l’espace qu’on me laisse ! haha). J’apprends. Je demande l’avis de mes maîtres de ballet, des danseurs, des chorégraphes, des assistants, des conseils pour m’améliorer dès que je le peux… Quitte à être la, autant profiter de ces rencontres magnifiques avec ces danseurs et chorégraphes talentueux !
Je me mets au sport aussi…

Répétitions Giselle 2010, Ballet du Rhin. (J’ai pris la photo, donc Ce n’est pas moi sur scène!)

Au fur et a mesure des journées, je comprends, qu’en fait, on ne sait jamais ce que le chorégraphe va nous demander en répétition, et il faut être prêt, physiquement et mentalement. En danse, surtout quand on est danseurs pros, on retrouve les mêmes exigences qu’un sportif de haut niveau dans sa discipline : il faut travailler son cardio, sa force, ses muscles… Le corps doit être le plus entrainé possible, avoir une bonne hygiène de vie… Et j’adapte donc ces principes à mon quotidien.

Les premiers résultats

Cinq mois depuis la rentrée, et mon travail commence à payer : je suis distribuée. (En corps de ballet, dans « Giselle », hein, on s’enflamme pas!)

J’enchaine ensuite avec ma distribution, dans la production de « Platée » de Rameau, à l’opéra de Strasbourg… etc…
On est à la mi-saison, et c’est le moment fatidique : renouvellement du contrat pour la saison prochaine ou non ? J’attends donc mon rendez-vous avec mon directeur…

La déception

Le Ballet du Rhin, est une compagnie de danse classique et contemporaine. Et soyons honnête : on ne peut pas dire que j’ai un physique de danseuse classique. J’en ai fait des régimes depuis mes 14 ans, et j’ai vraiment essayé ( heureusement sans jamais basculer dans les troubles alimentaires, merci le pays basque !). Mais c’est ainsi : je ne rentre pas dans les critères. Je suis assez carrée d’épaules et j’ai un bassin « large » donc je ne ressemblerai jamais à une femme longiligne. , j’ai mes formes.

Mon directeur, (Bertrand d’At), le moment venu, m’annonce donc que je ne suis pas renouvelée la saison d’après. Pas parce que je ne danse pas bien , mais par rapport à mon « physique » qui ne correspond pas à la compagnie.
C’est dur à encaisser, même si je le sais. (j’ai pas encore 20 ans). Et c’est encore plus frustrant quand c’est quelque chose que tu ne peux pas changer : genre mon squelette il est comme ca, et je pourrais pas rabotter mes hanches !

Mais je décide quand même de continuer sur ma lancée. Je continue de travailler, de danser dans le studio, des que je peux, d’apprendre encore…

L’inattendu

Backstage, Platée 2010. Andrew (a gauche) moi (au centre, j’ai une perruque hein!) Jon (à droite).

Nous sommes à la fin de la saison, et Emmanuel Gat arrive. C’est le dernier mois de mon contrat. Il vient travailler sa création pour la saison d’après…

Je squatte les studios. Comme à mon habitude. Je travaille derrière tout le monde… Je sais que je peux rester chez moi à rien faire: la sentence est tombée. Je ne suis pas renouvelée au Ballet la saison d’après. Mais je me dis que, tant que je suis là, je profite de chaque moment où je peux danser…

Et bien deviner quoi ?

Emmanuel Gat aime bien ce que je propose… Il vient me voir, me corrige, et peu à peu il m’intègre à l’equipe (je ne suis plus au fond du studio à gauche!)… Je ne capte pas de suite ce qui est en train de se passer…  Je suis à fond, trop contente qu’Emmanuel me porte un certain interet et me donne l’espace pour danser…
Et puis un jour…

Claude (la maitresse de ballet) et Emmanuel viennent me voir pour discuter…
Devinez qui fait finalement partie de la création, la saison d’après avec la compagnie ?

Croire en soi, travailler, se créer les opportunités… Au début, on a l’impression que c’est impossible à réaliser… Et puis on s’entraine. Et ca fait partie de notre quotidien. Et cela devient naturelle.

Concrétisation

Je suis donc ré-engagée la saison d’après au Ballet du Rhin, pour danser dans la pièce d’Emmanuel Gat ! Ce n’est pas fou çà ?
Un an se passe, et je suis la. Encore. Je continue de travailler et je me prépare avec tous les autres danseurs à monter sur scène.

Et puis, on arrive à l’instant T. C’est la première. On danse sur scène, la pièce « Observation, Action » d’Emmanuel Gat. Je suis aux anges!!!
Johan Inger (l’autre chorégraphe invité du programme qu’on danse ce soir) me félicite (j’y crois pas !).
Nous sommes à la dixième et dernière représentation de « Observation, Action ». Et : je suis heureuse. J’ai réussi. Je suis allée jusqu’au bout de mon aventure au ballet, et me suis prouvée que oui, maintenant, je peux dire que je suis danseuse professionnelle.

Mon bilan

Je pense que je ne peux pas remercier assez tous les gens que j’ai croisé la bas grâce auxquelles j’ai compris quelle danseuse professionnelle je voulais être : Claude (bout de femme extraordinaire) et Didier mes maitres de ballet, Lucinda Childs, Jo Stromgen et son assistante, Roslyn Anderson, Johan Inger et son assistant Yvan Dubreuil, Emmanuel Gat (qui, en m’integrant à sa création, me permet d’apprendre deux trucs essentiels: la confiance en soi, et être responsable de soi-même), mes collègues et danseurs de la compagnie, Maxime (notre pianiste, qui a toujours le sourire), et puis… Bertrand.

Mes deux cadeaux

En y repensant, Bertrand d’At m’a donné deux magnifiques cadeaux : le premier, il m’a fait confiance et m’a engagé dans la compagnie alors que je n’avais que 19 ans. J’ai tellement appris en un an et demi là-bas!

Le deuxième, c’est de m’avoir libéré de cet engagement en ne me renouvelant pas la saison d’après. Même si , vous vous en doutez, ca a été dur à comprendre sur le moment. Mais je me rends compte maintenant que c’était la meilleure décision à prendre: parce que la danseuse que je voulais devenir avait besoin de se réaliser ailleurs. J’espère que de là-haut il sait que je lui en suis reconnaissante…

C’est donc ainsi que je suis devenue danseuse pro freelance! Mais  je ne sais pas encore que les choses (flippantes) sérieuses vont VRAIMENT commencer maintenant…

Happy Hilda+ballon hippopotamus (oui, j’étais une enfant!) Strasbourg 2010

 

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